Adieu Mozambique

La République des enfants - Sur la piste

La République des enfants – Sur la piste

Il fait nuit noire. La Lune nous a abandonnés. Il faut suivre le minibus caméra, il faut suivre notre poisson-pilote. Il ne faut surtout pas le lâcher, nous nous perdrions dans les townships.

D’abord regarder à droite, ensuite à gauche, à droite, à gauche. Quand on tourne à droite, il faut aller au fond du carrefour. À droite, au fond, à gauche, tout de suite. Ça tourne, moteur, action.

Nous suivons. La ville est déserte, abandonnée, Samora Machel dévastée est jonchée de débris, sur la place de l’Indépendance, quelques voitures fument encore,  partout des fruits écrasés ont bariolé la grisaille du macadam.

Le vent balaye une poussière rouge que la faible lumière des lampadaires n’arrive pas à percer.

À gauche dans Jardim Tunduru, des huttes de paille brûlent les derniers grains de millet de la saison, la fumée tourbillonne dans la tempête qui rugit et apporte de loin le chant des enfants dans une classe d’école.

Archive – 2002 – You All Look The Same To Me – 01 – Again

Sur 25 de Setembro, quelques gamins s’amusent en riant au bord de la route, ils semblent ne pas nous voir. Un étrange convoi d’enfants manœuvrant des chars de carton-pâte défile au son des tambours, des tricycles à moustiquaire glissent sur l’avenue, un petit train chargé de masques menaçants chemine lentement.

Au début de Marginal, une lumière vacille sur un frêle esquif au milieu d’un océan noir. Un petit garçon court sur la plage à la poursuite d’un rêve.

Il faut suivre Bob, nous a-t-on dit, nous suivons.

Nous arrivons sur la piste, la grande piste qui mène à l’Afrique, le minibus est toujours devant nous, au levant le soleil verse son torrent d’or sur les vagues de l’Océan. L’or de l’Afrique, l’or des mines d’Afrique du Sud, les Africains noirs qui peinent et souffrent dans les entrailles de la terre rouge et qui meurent dans les poussières jaunes de la richesse de l’Occident.

Les hommes noirs qui meurent, les hommes noirs… l’or des mines, les hommes noirs qui luttent, les hommes noirs qui meurent sous les balles dans les émeutes de la faim, unis nous vaincrons, a luta… a luta…

a luta …

a luta …

Mon réveil égrène les premières notes de « Again » du groupe Archive qui envahissent mon esprit, il est temps de se lever, une dernière fois humer l’atmosphère tiède du balcon, s’assurer qu’il est toujours neuf heures moins le quart sur l’horloge immuable de la cathédrale.

Il est six heures. Il n’y a pas grand monde dans la salle du petit déjeuner. J’ai faim, je dévalise le buffet au son de la musique new age qui nous a tant agacés. Nous avons rendez-vous à sept heures, Samuel doit venir nous chercher pour nous accompagner à l’aéroport.

Les bagages sont prêts depuis hier, quelques instants à contempler la vue sur l’Hôtel de Ville, dernier regard sur cette chambre 817, si agréable et confortable, refuge de solitude, pause méditative dans le couloir à observer battre le cœur de la ville haute au bord du vaste Océan Indien.

En grand seigneur, comme lors de notre arrivée, Flora est là à nous attendre dans le hall, pour un dernier salut, les derniers mots, un au-revoir amical.

 
La République des enfants - Pierre et Flora

La République des enfants – Pierre et Flora

La République des enfants - Pierre et Flora

La République des enfants – Pierre et Flora

La République des enfants - Pierre et Flora

La République des enfants – Pierre et Flora

 

Nous sommes cinq à partir ce matin.

Certains nous ont déjà quittés hier, comme Ana ou nos trois amis guinéens, Jorge, Joãozinho, Mussá, d’autres, comme Paulo et Inês, vont tourismer dans les réserves, Dominique a encore quelque travail de montage et ne rentrera que vendredi, Mano doit s’occuper encore quelques temps des derniers problèmes locaux, Flora partira à la fin de la semaine.

Angela, Silene et Dino nous accompagnent. Direction Lisbonne. Pierre et moi y ferons escale pour la nuit et en repartirons le lendemain soir après une visite de la Ville Blanche.

À l’aéroport, Bob nous attend pour des salutations émues et chaleureuses, c’est gentil de sa part, nous ne pouvons que lui souhaiter bonne chance en espérant pour lui qu’il retrouve vite un boulot, peut-être sur le tournage américain annoncé pour la fin du mois dont m’a parlé son grand copain David, l’homme aux mille ressources.

Aéroport Maputo - Hall départ

Aéroport Maputo – Hall départ

Le hall de départ de l’aérogare est aussi triste et froid que celui d’arrivée, nous nous dépêchons d’aller enregistrer les bagages.

Méfiez-vous des balances de Maputo, elles affichent systématiquement un à deux kilos de trop. À Paris nous avions droit à 25 kg, bagage à main non compris, ici c’est 20 kilos pour le bagage de soute, 6 pour la bagage cabine, pas un de plus.

Prudent, voyant le visage révolté d’Angela forcée de payer de sa poche d’importants excédents pour quelques bouquins de trop, je sors de mes sacs tout ce que j’ai de lourd pour les donner à Dino et Pierre, avant de passer à la balance.

Nul doute qu’il faille faire cela discrètement car un homme semble observer attentivement le manège auprès des comptoirs. L’œil de Maputo sans doute.

Enfin nous pouvons monter à l’étage des deux ou trois boutiques duty-free et nous installer dans une salle d’attente rudimentaire aux trop rares sièges. Le mercredi, le vol de la TAP vient de Johannesburg, fait une escale technique à Maputo avant la grande traversée du continent. C’est ainsi que nous voyons débarquer tous ces Portugais en provenance d’Afrique du Sud qui rentrent sur Lisbonne.

Certains abhorrent encore le maillot de leur équipe vaincue la veille, la plupart ont une mine déconfite, la tristesse des lendemains de défaite, les vuvuzelas dépassent des sacs, muettes de honte, gueules de bois qui ravalent les fiertés.

Une bonne demi heure d’attente et il est temps d’embarquer, l’avion doit décoller vers dix heures moins le quart.

 
Aéroport Maputo - Tarmac

Aéroport Maputo – Tarmac

Maputo - Aérogare

Maputo – Aérogare

Aéroport Maputo - A320 TAP

Aéroport Maputo – A320 TAP

 

Au monde dans la salle d’attente, nous avions compris que l’avion sera complet, qu’il ne sera guère possible de s’étendre pour dormir comme à l’aller. Nos trois amis portugais sont placés ensemble à l’avant, Pierre et moi sommes séparés par la cloison centrale, j’ai la chance d’être au centre, juste derrière celle-ci, le long du couloir, de quoi étendre un maximum les jambes.

Deux gamins sur les sièges voisins me font redouter le pire. Par chance il n’en sera rien et le voyage se passera dans le calme, l’ennui et la lassitude des vols long-courriers.

A320 TAP - Classe éco

A320 TAP – Classe éco

Nous sommes passés au dessus de l’hôpital de Infulene qui nous a tant fait souffrir, avant de nous élever au firmament de la forêt tropicale, au loin les reflets de l’Océan scintillent de leur dernier adieu, le soleil flambe l’or de ses rayons, des nuages noirs envahissent mon âme.

Adieu Mozambique

Adieu Mozambique

 
 

FIN

 
 
 
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