39. Les enfants de Mafalala

La République des enfants - Patrick et Joachim

La République des enfants – Patrick et Joachim

Hier nous étions rapidement rentrés à l’hôtel pour profiter au plus vite d’un repos réparateur car ce matin nous commençons à l’aube, enfin presque, à sept heures.

C’était sans compter les préparatifs de la fête de l’Indépendance sur la place du même nom au pied de l’hôtel. Je ne sais pourquoi les ouvriers sont toujours en train de taper du marteau, décidément leurs échafaudages paraissent bien complexes à monter.

Le pire sont les gars de la sono qui se sont mis en tête de faire leur balance des volumes la nuit et, jusqu’à une heure du matin, ce fut techno et rock à fond d’ampli.

Comme les vitres de l’hôtel sont plus que légères, non doublées, le niveau sonore dans les chambres était quasiment équivalent à celui d’une boîte de nuit. J’ai donc passé la nuit sur un matelas de fortune installé dans la salle de bain, avec la double porte, j’ai enfin pu dormir quelques heures.

Ce n’est pas la première fois que ce manque d’isolation phonique du Pestana Rovuma nous aura fait passé de mauvaises nuits. En effet, le Centre Culturel Franco-Mozambicain dispose d’une salle de concert ouverte et sa puissante sono a souvent bousculé nos nuits jusqu’à des heures tardives. Au début de mois de juin, un festival de musique et artisanat mozambicain avait envahi le haut de Samora Machel et nos oreilles pendant quasiment une semaine. Bref, la pollution sonore, devenue en France un sujet majeur, est le cadet des soucis de Maputo.

C’est une équipe fatiguée qui se retrouve donc pour le troisième et dernier jour dans Mafalala. Nous récupérons le matériel dans la maison Nuta pour aller plus loin, tout au bout de Rua da Guine.

Mafalala - Fillette

Mafalala – Fillette

Maurice ne va guère mieux qu’hier, bien au contraire, il manque de s’évanouir et rend tout son petit déjeuner avant que nous n’attaquions le premier plan, un intoxication alimentaire probablement.

Angela et Yardena sont au petit soin, nous avons deux plans à tourner ce matin avec lui et il n’est guère possible de reporter ceux-ci à un autre jour. Courageux, Maurice tient bon.

Alors que Chico mène les deux filles Bia et Fatima à travers les ruelles étroites du quartier vers la maison de Nuta, ils aperçoivent Aymar qui tente de se cacher dans un recoin de mur pour se soulager. Fatima l’interpelle et le gamin détale avant d’avoir pu faire sa commission.

C’est un curieux fil rouge que cette pérégrination de Aymar à travers la ville où la recherche d’un endroit pour pisser mène à la quête du père disparu.

Le cadre est fixe, assez large, Aymar apparaît au premier plan, les filles viennent de la profondeur.

Un micro est caché au sol derrière une pierre pour l’interpellation de Fatima, la perche se place sur Aymar, et  le stéréo capte l’ambiance plutôt sympa à cette heure.

La République des enfants – 36 / 1 t4 – perche, micro d’appoint au centre, stéréo MS décodé L&R

Un peu plus loin, dans la rue principale, le groupe croise une petite fille qui donne à manger à une chèvre. En voyant les deux filles soldats, l’enfant fuit pour se réfugier derrière une porte. Bia et Fatima sont interloquées, Chico leur en explique la raison.

Un travelling collé contre un mur suit le groupe en latéral, au moment où la caméra arrive sur la petite fille, celle-ci prend peur et doit rentrer précipitamment dans une cour.  Mais jouer la peur à six ans n’est pas évident et c’est Dino qui se charge de hurler au bon moment pour effrayer la fillette.

Le groupe électrogène n’est pas loin mais le KM 150 isole assez bien de l’ambiance. Le stéréo est placé en hauteur vers le ciel pour aérer un peu l’espace et ne pas capter la rue voisine. De la techno semble provenir d’une maison voisine, je croise un jeune homme en costume cravate avec attaché case, oui dans le township, qui me propose en anglais d’aller demander au propriétaire qu’il la baisse un moment. Le calme règnera une bonne demi-heure, le temps de tourner six prises, malheureusement nous en ferons huit.

La République des enfants – 36 / 2 t6 – perche au centre, stéréo MS décodé L&R

Pour suivre le groupe, je n’ai que très peu de place derrière le travelling, aussi pour m’éviter les foudres du chef-machino, je préfère percher les enfants de dos, ce qui n’est pas toujours commode, en particulier sur les retournements de tête et ils sont imprévisibles dans ce plan où les trois, Joyce, Anais et Maurice, se retournent chacun vers la fillette, systématiquement sur leur texte.

La République des enfants - Mafalala - Jour 39

La République des enfants – Mafalala – Jour 39

La première partie de la journée est terminée après deux bonnes heures consacrées à ce plan, nous rangeons le matériel dans la voiture, car Yardena, un peu dépassée voire énervée, tarde à nous indiquer le lieu du prochain décor.

Enfin trente minutes plus tard, Demy finit par me guider avec la voiture à plusieurs centaines de mètres, au croisement de Rua 3.043 et Rua Eusébio da Silva, une belle trotte à pieds, heureusement que Pierre avait insisté pour tout remettre dans le coffre.

Je trouve un place à l’ombre, confie les clefs à David resté là pour garder et m’aventure dans les passages pour retrouver le chemin de la cantine.

C’est l’occasion de pénétrer au cœur de ce quartier populaire, dense, j’y croise une Médersa (ou Madrasah), une école coranique, magnifiquement décorée.

Mafalala - Toyota à l'ombre dans Rua Eusébio da Silva

Mafalala – Toyota à l’ombre dans Rua Eusébio da Silva

Un bon quart d’heure plus tard me voilà attablé dans la cour d’une maison très soignée, moderne et sentant le neuf en plein cœur du township sur Rua da Guine. Visiblement les gens s’attachent à leur quartier et quand ils deviennent un peu plus riches (ou moins pauvres), plutôt que fuir leurs racines vers le centre ville, ils construisent en plus solide. Il y a ici une mixité sociale peu commune dans nos pays civilisés.

Après un repas pour une fois copieux, agrémenté de quelques crevettes grillées, de plusieurs pilons de poulet, d’une belle assiette de riz blanc et, cerise sur le gâteau, de véritable glace chocolat vanille, il s’agit de retrouver le chemin qui mène au décor à travers le dédale des ruelles pour passer de Rua da Guine à sa parallèle Rua da Goa.

 
Mafalala - Jeux de rue

Mafalala – Jeux de rue

Mafalala - Terrain de foot

Mafalala – Terrain de foot

 

Une fois dans celle-ci, il suffira d’aller jusqu’au terrain de foot prendre la première à droite. La rue de Goa est l’artère principale de Mafalala, très marchande, bordée d’échoppes qui vendent de tout et de rien, quelques bars avec terrasse, il y a même un baby-foot dans l’un d’eux, un jeu pourtant très européen !

 
Mafalala - Hommage au Che

Mafalala – Hommage au Che

Mafalala - Collégiennes

Mafalala – Collégiennes

 

La rue du décor, Rua Eusébio da Silva (vous ai-je dis que nous avons dans l’équipe au moins quatre Silva ?), tient plus du canal de récupération des eaux de pluie que d’une rue destinée à la circulation. Il faut d’ailleurs conduire parfaitement au centre si l’on ne veut pas pencher dangereusement.

 
La République des enfants - Pierre et bébé

La République des enfants – Pierre et bébé

Mafalala - Demy et Chissano

Mafalala – Demy et Chissano

 

Là on peut véritablement parler de bidonville, la plupart des baraques sont de tôles et de broc, celles en dur sont barricadées de grilles et de portes solides. Par contre les gens y sont accueillants quand ils ne sont pas indifférents, dans la journée, il n’y a pas de sentiment d’insécurité.

 
Mafalala - Rua 3.043

Mafalala – Rua 3.043

Mafalala - Bidonville

Mafalala – Bidonville

 

Le tournage prend possession du lieu comme il peut et en quelques instants un attroupement important vient border la rue.

La régie fait au mieux pour repousser les enfants, pour ma part je les tiens à distance du matériel par un cordon tout symbolique de rubalise et je charge un garçon plus âgé qui m’a l’air d’en imposer aux autres de faire respecter cette limite, tâche qu’il accomplira parfaitement avec sérieux et autorité. En fin de journée je distribuerai les dernières pièces de metical qui traînent au fond de mes poches.

Mafalala - Les enfants du township

Mafalala – Les enfants du township

Fatima qui vient de s’échapper de la maison de Nuta en passant par la fenêtre, croise sur son chemin le petit Baifaz qui se propose de lui procurer à manger. Dans cette rue qui serpente curieusement, passe un vélo muni d’une espèce de haut-parleur de gare qui annonce la fin de l’alerte générale qui avait été déclenchée lors de l’apparition des enfants soldats dans la ville de la République des Enfants.

La République des enfants – 48 / 1 t7 – perche au centre, stéréo MS décodé L&R

Dans ce premier plan large, Fatima et Baifaz sont perdus au fond du cadre, peut-être les verra-t-on au Grand Rex, le vélo vient longer l’axe de la caméra. Le haut-parleur est factice et la voix sera faite plus tard, lorsque nous en auront le temps, avec on ne sait qui.

Avec difficulté Ana obtient que l’on fasse un plan plus serré mais l’axe de la caméra est tellement bizarre, en contre-plongée totalement décadrée, que la position du micro est loin d’être idéale et la voix du petit Karan est  si fluette que Pierre décide de faire un son seul plus présent de la réplique avec le petit Karan.

La République des enfants – 48 / 2 t5 – perche au centre, stéréo MS décodé L&R

 
Mafalala - Sieste

Mafalala – Sieste

Mafalala - Rua Eusébio da Silva

Mafalala – Rua Eusébio da Silva

 

Ainsi à trois heures et demi avons-nous fini les quatre plans de la journée, soit vingt-quatre prises en tout, encore moins qu’hier. Indubitablement le tournage paye les périodes de repos trop courtes qui amenuisent le rendement de l’équipe.

Mafalala - Fin de journée

Mafalala – Fin de journée

Un dernier regard sur ce quartier accueillant, calme et serein dans sa pauvreté, puis nous reprenons le chemin de l’hôtel à la suite de Bob. En continuant la rue du décor, nous débouchons directement sur Avenida Acordos de Lusaka, la fameuse route de l’aéroport.

En arrivant vers l’Hôtel de Ville par Ho Chi Min, ça bouchonne pas mal. En effet, ce soir, tout le quartier de la place de l’Indépendance est bouclé pour les cérémonies de demain, la régie a prévu de stationner l’ensemble des véhicules le long de Rua da Radio, face à la cathédrale. Deux gardes armés veilleront la nuit à leur sécurité. Une fois sur place, il nous faut cependant attendre une bonne demi-heure avant que n’arrive Yardena qui nous indique l’endroit exact du stationnement.

Les préparatifs de la fête semblent terminés, seule la sono en est encore à affiner ses derniers réglages en passant en boucle un bon vieux morceau de Dire Straits, espérons que ça ne durera pas comme hier jusqu’à une heure du matin.

Il y a tout juste une semaine, à notre retour du restaurant à Matola, alors que les échafaudages étaient encore en plein montage, des troupes de soldats avaient envahis la place pour les dernières répétitions du défilé. L’ambiance y était plutôt détendue dans les rangs, les musiciens se chauffaient, les gradés faisaient les cents pas en attendant l’ordre du départ, ça tenait plus du jazz band et du grand bazar que de la marche militaire.

Maputo – Répétition défilé du 25 juin – pcm-d50 – stéréo AB

Plus tard en début de soirée, je redescends à la voiture ayant oublié le DVD à graver, à peine avais-je ouvert le coffre que les deux gardes, le visage masqué d’une cagoule dans le froid de la nuit, se précipitent vers moi, instant de frayeur en voyant les armes pointées, je m’identifie promptement avant qu’ils n’aient l’idée de tirer la première balle, ouf. C’est certain, le matériel est en sécurité, peut-être trop.

 
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