35. Le grand carnaval

La République des enfants - Flora

La République des enfants – Flora

Nous n’allons pas très loin ce matin, au croisement de Rua do Bagamoyo et de Rua da Mesquita, dans le bas quartier portugais que nous avions visité plusieurs fois. Il est six heures trente.

À peine avons-nous tourné à droite en bas de Samora Machel pour s’engager sur 25 de Setembro que deux flics en costume blanc, donc de la circulation, nous arrêtent. Exactement là où nous nous étions faits alpaguer avec Antonio lors de notre première sortie à la plage.

Décidément il faut absolument éviter cette partie de l’avenue, voilà pourquoi Bob préfère effectuer un détour en passant plus bas le long du port.

Passeport, permis français non valable ici, c’est mal engagé, c’est soit mille meticais qui s’envolent, soit le poste.

En trois mots de portugais Pierre explique que nous tournons à moins de cinquante mètres de là, une partie du quartier est en effet bouclée pour nous. Fait que nos deux sbires semblent ignorer. Une moue de l’une des flics et l’autre nous fait signe de passer. Ouf on l’a échappé belle.

La République des enfants - Rue du carnaval

La République des enfants – Rue du carnaval

Rua do Bagamoyo est la rue chaude de Maputo, les boîtes de striptease voisinent avec les hôtels de passes tout autours de ce magnifique Hotel Central dans le plus pur style portugais qui évoque aussi New Orleans et qui servit de décor pour le film Blood Diamond avec Leonardo Di Caprio.

À l’heure où nous arrivons, le jour s’est levé mais la nuit n’est pas terminée ! Quelques clients totalement jetés trainent là avec les dernières prostituées de la nuit. Les bouteilles de bières jonchent le sol, l’odeur de l’ivresse et de l’urine est omniprésente.

Nous sommes loin de l’ambiance paisible de la journée !

Pendant que le service d’ordre du plateau s’efforce de repousser ces noctambules, la régie s’attèle à nettoyer la rue pour que la déco mette en place les guirlandes de carnaval, positionne les chars et vélos à moustiquaire que nous avions vus à la menuiserie.

 
La République des enfants - Flora et Jorge

La République des enfants – Flora et Jorge

À huit heures et demi, ça y est le décor est prêt, les canettes ont fait place aux confettis, les prostituées aux enfants déguisés, les noctambules aux techniciens de cinéma.

La République des enfants - Ana et Pierre

La République des enfants – Ana et Pierre

 

C’est une journée de tournage haute en couleurs et riche en sons avec une figuration importante qui s’annonce.

Un travelling court le long de la rue sous les arcades de l’hôtel, les chars de carton pâte forment une haie d’honneur aux invités qui arrivent dans un petit train précédé des vélos à moustiquaire et d’un ensemble de percussions joyeuses.

La République des enfants - Carnaval

La République des enfants – Carnaval

Notre travail de son consiste globalement à enregistrer le défilé des percussions, une dizaine d’enfants frappant différents instruments en rythme, d’ailleurs pas toujours régulier et inconstant de prise en prise.

La République des enfants - João et Silene

La République des enfants – João et Silene

Deux caméras filment la scène. La principale, cadrée par João sur le travelling, s’attache à suivre, en plusieurs plans et valeurs de focale, chacune des composantes du défilé, les percussionnistes qui  ouvrent la marche, puis les vélos à moustiquaire et enfin les invités « experts » debout dans le petit train. La seconde caméra, fixe et aveugle (sans cadreur) englobe quant à elle toute la perspective de la rue en plan large.

 
La République des enfants - Pierre

La République des enfants – Pierre

La République des enfants - USM 69

La République des enfants – USM 69

Nous prenons le parti pris d’en faire de même pour le son.

Pierre se charge du plan large avec le Cantar et l’USM 69 placé en hauteur dans l’axe de la rue et je m’occupe du plan serré avec le couple MS Schoeps et le SX-R4 en suivant l’axe de la caméra, tout en restant à distance bien évidement du chef machino.

 

Personnellement, vous le savez, j’ai un faible pour cet USM 69 et les prises de son un peu large où l’espace ajoute sa propre couleur aux sonorités. Et je trouve le couple MS Schoeps vraiment sec par rapport au velouté du couple Neumann.

La République des enfants – 61 / 1 t2 – Camera B large – Stéréo MS décodé L&R

 

La République des enfants – 61 / 1 t2 – Camera A serrée – Stéréo MS décodé L&R

Cela nous occupe toute la matinée, à chaque prise il faut en effet remettre tout ce petit monde en place.

La République des enfants - Pierre

La République des enfants – Pierre

C’est la journée que devait attendre Flora depuis longtemps, c’est son défilé, son carnaval.

La République des enfants - Flora

La République des enfants – Flora

Dans « Nha Fala », son précédent film, en partie une comédie musicale, il avait déjà mis en scène une longue procession bigarrée et joyeuse à travers les rues du Cap Vert qui se terminait sur la place du village par l’amorce d’un concert, magnifiquement filmée du haut d’une grue qui s’élève pour découvrir toute la foule venue assister au triomphe de l’héroïne.

Malheureusement et je crois bien qu’il le regrette vraiment, sur ce tournage sans moyens techniques, il n’y a ni grue, ni steadycam, et le budget décoration et habillage est des plus réduits.

Quand je le voie se tenir là bras croisés à scruter la rue du décor, je me demande s’il admire celui-ci ou s’il ne trouve pas au contraire que l’espace scénique que la production lui autorise est vraiment réduit. Car au Cap Vert, c’est toute la ville qu’il avait à sa disposition, la procession empruntait de nombreuses rues et la place du concert était noire de monde. C’est d’ailleurs ainsi que le scénario de « la République des enfants » décrivait la scène que nous tournons.

Il y a quand même un côté « Peace ‘n Love » dans ces chars à fleurs. Pourtant Flora Gomes est plus de la génération des cinéastes africains révolutionnaires, formés à l’école soviétique comme Souleymane Cissé, l’un à Cuba, l’autre à Moscou, que de celle des cinéastes occidentaux de l’époque hippie.

La République des enfants - Cantine

La République des enfants – Cantine

La matinée se termine ainsi par un dernier plan sur le petit train, et même s’il n’y a plus de percussions, nous gardons le même dispositif sonore.

La cantine s’est installée sur le balcon de l’Hôtel Central dominant ainsi l’ensemble du décor, un lieu véritablement agréable au charme désuet, abstraction faite de ce qu’il s’y passe la nuit.

D’ailleurs l’hôtel lui-même est plutôt bien tenu, propre et calme, les chambres très simples sont assez spacieuses quoique spartiates, l’hygiène des toilettes et des douches communes tout à fait acceptable.

La fresque en haut-relief coloré du hall d’entrée est assez évocatrice de la double identité du lieu, où la débauche du sexe de la nuit bleue laisse place le jour aux joies de la musique et de la convivialité.

Je profite du temps mort avant la reprise pour faire un tour au marché artisanal qui se tient tous les samedis en bas de Samora Machel, à quelques pas de là, pour en ramener quelques souvenirs.

La République des enfants - Flora parmi ses acteurs

La République des enfants – Flora parmi ses acteurs

Cet après midi, nous nous retournons, comme on dit dans le jargon des plateaux, c’est à dire que nous filmons l’axe inverse de la scène.

Un camion, et oui dans le République des Enfants il n’y a pas de voiture mais il y a un camion, donc un camion barre la rue, sur lequel a été aménagée une tribune qui va servir aux discours des invités « experts ». A sa droite une estrade où ont pris place les dignitaires de la République des enfants. Enfin à sa gauche une urne en forme de globe terrestre servira au vote final. Chacun de ces points cardinaux, car cette disposition des éléments de la séquence en croix n’est pas fortuite, doit faire l’objet de plusieurs plans.

Après la présentation des invités par le maître de cérémonie du jour Quemo, interprété par Mura qui a pris là du poil de la bête, chaque « expert » s’avance sur la tribune pour déblatérer ses avis et conseils quant à la direction et aux orientations de la République des enfants. Leur langage est celui de tous les « experts » internationaux qui se targuent de donner des leçons à travers le monde et en particulier en Afrique, une langue que le scénario appelle « Tam-Tam », qui pourrait être traduite par « Blá-Blá » (comme les cabines téléphoniques mozambicaines) pour ne pas dire « de bois ». Remarquez là comment l’intervention de la langue française vient replacer ce pays dans ses bottes.

La République des enfants - Patrick et camion sono

La République des enfants – Patrick et camion sono

Il y a quelques jours en rentrant de l’hôpital de Infulene, nous étions passés au bureau de production Ebano Filmes afin de récupérer une enceinte amplifiée sur batterie que nous avions amenée de Paris spécialement pour cette séquence. Avec un certain nombre d’affaires dont l’utilisation sur le plateau devait être ponctuelle, nous l’avions laissée au bureau du Centre Culturel.

Quand la production a déménagé, la régie, sans nous prévenir, a transféré tous ces matériels sans en faire le décompte.

Si bien que lorsque nous avons voulu reprendre ceux-ci, il en manquait plusieurs éléments dont un pied micro unique et très particulier  qui devait servir pour la tribune.

Au moins avons-nous l’enceinte et c’est plus qu’important car la sono installée par la déco est vraiment médiocre avec une ronflette électrique insupportable.

Il n’était pas question de mettre un micro HF sur chaque intervenant, même si le plan est large sur une caméra, serré sur la seconde. Nous avons donc installé sur la tribune notre propre micro de voix, un Shure SM58, relié d’une part à l’iTak dont une sortie est envoyée en HF sur le Cantar et d’autre part à notre enceinte amplifiée par l’intermédiaire d’un boîtier de dérivation symétriseur. Le couple stéréo en façade large vient récupérer l’ambiance et la dimension sonore du lieu, la perche assez lointaine mais néanmoins dans l’axe amène un peu de présence aux voix.

La République des enfants – 61B / 1 t1 – perche et sono au centre, stéréo MS décodé L&R

Malheureusement, nous remarquons à la première prise et à la différence des répétitions, que quatre des « experts » ne parlent plus dans le micro de la sono mais comme par chance ils portent chacun un masque de carnaval, il sera possible de remplacer ce son large par celui du plan serré par lequel nous terminons cette journée.

En hiver sous les tropiques, le soleil tombe aussi vite que la marée monte sur Costa do Sol, si bien qu’après une première prise du plan serré, nous devons remettre à demain la suite. Trois plans d’une seule prise pour cette partie de la scène, c’est faire un peu vite en besogne et bâcler réellement le travail. C’est sûr que filmer des locuteurs à une tribune n’est guère palpitant à l’image.

Cassis Rufa - Vous parlez Tam-Tam ?

Cassis Rufa – Vous parlez Tam-Tam ?

 
Commentaires : Laisser un commentaire

Laisser un commentaire