8. La fin du film

La République des enfants - Configuration semi-portable

La République des enfants – Configuration semi-portable

Retour pour toute la journée sur le décor de la mangrove de Costa do Sol. Les camions sont restés sur place, sauf bien-sûr le minibus caméra et le « van som ».

La marée basse est aujourd’hui 40 minutes plus tard que la veille mais nous commençons une demi-heure plus tôt, allez comprendre. De fait la journée, organisée en trois lieux,  sera nettement plus longue.

Après avoir attendu un bon moment que le chef opérateur, l’assistante et le metteur en scène choisissent le premier endroit de la journée, nous commençons donc par aller ramasser avec les enfants quelques cailloux dans la mangrove que l’océan vient de libérer.

Nous avons pris la mesure de la journée d’hier, fini les roulantes, nous passons en configuration semi-portable :

Le Cantar est détaché de la roulante et mis dans sa sacoche, le câble multipaire restant branché. Le bloc HF avec son alimentation autonome est posé sur un petit pied pliable.

Je jette pèle-mêle dans un sac à dos l’indispensable, quelques HF avec micro-cravates, sangles et accessoires, piles, écoutes, gaffers, une deuxième bonnette avec KM 150, poils, fourrure anti-vent. Nous emmenons le pied avec une seule perche et la Zephyx, le touret et le micro stéréo sur pied, la valise du kit-cool qui servira de support, le parasol, le siège et bien sûr le sac personnel dont Pierre ne se sépare jamais .

Je connais bien des ingés son à vouloir absolument avoir leurs affaires personnelles sur le plateau, quitte à les faire transporter par l’assistant ! Heureusement ce n’est pas le cas de Pierre. Nous voilà presque léger !

A deux, nous arrivons à tout porter. A trois, ça aurait été mieux.

Danny arrive, nous nous enfonçons dans les arbres touffus. Dubem ramasse un dernier caillou, avance à travers les arbres puis se retrouve à découvert. Tout cela avec de belles phrases qu’il adresse aux enfants soldats.

Dans la première prise, Dubem se relève, dit son texte en entier sur place (facile), puis s’avance dans le bois pendant que la caméra recule. Une fois de plus, les bonnes indications ne lui sont pas parvenues.

Les 5 prises suivantes sont un cauchemar pour la perche. Il y a João qui cadre à l’épaule, à ses coté Silene qui fait le point, derrière Manuel (je lui demande de se courber un peu) qui guide João, puis Paulo qui tente de glisser un petit réflecteur pour ramener de la lumière. Et derrière tout ce monde, le perchman avec un champ de vision des plus réduits. Danny a beau être très grand, je l’entrevois à peine. De part et d’autre des branches, le couloir est étroit, pas plus de 50 cm, des pièges au sol, de plus le chemin fait un angle droit. Il me faut pouvoir passer la perche par dessus tout ce joli monde, reculer tout en tentant de voir les mouvements de l’acteur, éviter que le micro ne touche la moindre feuille d’arbre.

Grâce à l’efficace adresse de Patrick, j’ai pu quelque peu préparer le trajet, couper des brindilles, enlever des feuilles, relever des branches tendues par un fil.

A ce jeu, on est toujours bon dans les toutes premières prises, c’est l’instinct qui dirige le mouvement, on est plus souple. Au bout d’un certain temps, c’est la tête qui prend le dessus, on commence à trop réfléchir aux obstacles, et bien-sûr on ne manque pas de faillir à un moment ou un autre.

A la sixième prise, je suis épuisé, je négocie mal l’angle droit, me coince le bras dans une branche, mais j’arrive à me remettre dans l’axe à temps pour le mot suivant.

On ne manque bien sûr pas d’entendre en plus des pas de Danny ceux de tout ce beau monde qui recule (moi compris). Même si l’on peut imaginer que ce sont les enfants soldats à qui il s’adresse hors champ, le résultat n’est pas heureux. Le monteur son pourra-t-il remplacer le son de la 6ème prise par celui de la première sans mouvement ? Dominique, notre monteuse image, est sceptique. A vous de vous faire votre propre idée. En tout cas, ce sera un sacré boulot, mot par mot, voire syllabe par syllabe. Mais Pro Tools ou plutôt certains plugins peuvent être magiques.

La République des enfants – 71 / 12 t1 – perche et HF au centre

 

La République des enfants – 71 / 12 t6 – perche et HF au centre

Le stéréo, placé au loin, ne sert que pour d’éventuels raccords de fond, on ne manque pas d’entendre, même sur la perche, le groupe électrogène qui tourne pour la loge de Danny. Allez encore un plan du groupe marchant à découvert et on change de lieux.

Vers midi, nous filons comme hier au plus loin, l’océan est à l’étale, pour continuer la scène entre Mon de Ferro et Dubem. Quatre plans. Simples et assez serrés. Je me bats avec le soleil, car pour faire simple, on tourne pile dans son axe. Quelques répliques de part et d’autre, je ne trouve pas Hedviges formidable, il est raide et débite son texte sans rythme ni intonation, on dirait du Bresson, Danny le pousse, lui suggère des intentions, le dirige dans ses mouvements, lui fait travailler le phrasé.

La journée avance vite, on enchaîne comme jamais depuis le début de ce tournage. Nous finissons sur cette langue de terre par quelques gros plans d’enfants jetant des cailloux dans l’eau et il est déjà plus de 16h00, l’océan semble patient aujourd’hui.

La République des enfants - Arbres dans l'océan

La République des enfants – Arbres dans l’océan

Direction le trio d’arbres isolés au milieu des sables.

C’est la toute dernière scène du film entre Nuta et Dubem. Assis au pied de l’un des arbres, Dubem se sentant vieillir passe la main à Nuta, il lui remet les fameuses lunettes du cagibi, celles qui voient dans le futur. Nuta sera désormais « Advisor », celle qui voit en avant. Dans la profondeur du cadre,  une nuée d’enfants s’égaille.

Un premier plan très large avec une étendue d’eau aux reflets de ciel et d’arbres. C’est indéniablement beau. Les acteurs sont de minuscules points dans l’image, le décor est magnifique.

J’enterre dans le sable devant Danny et Melanie la Rycote avec son KM 150 et un HF. Danny est bien-sûr équipé d’un micro cravate. Le couple stéréo s’occupe des enfants au fond, mais il ramène énormément du groupe électrogène.

On rapproche la caméra, pour trois autres prises en plan moyen, le micro est à un mètre au dessus des têtes. Il n’y aura pas de gros plan qui pénètre dans le visage captivant de Dubem, dans le souffle rauque de sa voix, pas de gros plan sur Nuta si belle et émue. Il n’y aura pas de gros plan sur les mains qui se touchent dans un geste plein d’espoir. Il n’y aura pas de larmes ni d’émotion, on reste dans le symbole et l’esthétisme.

La République des enfants – 74 / 2 t3 – perche et HF au centre, stéréo MS décodé L&R

Ce n’est pas une réussite, trop de ronronnement, trop d’animation, trop de cris. Un dernier plan sur les gamins et nous n’avons plus le temps de faire un son seul du texte, plus le temps pour mettre en place et enregistrer une belle ambiance des enfants, l’eau est là, en quelques instants les arbres sont immergés, et c’est en courant que nous remontons vers la route.

Comme le premier plan de texte de ce matin, je sens que tout cela va finir en post-synchro. Je ne doute pas qu’un acteur de la classe de Danny soit aussi excellent en studio que dans les prises.

Les Américains sont les as de la post-synchro, non seulement les acteurs dominent parfaitement la technique,  mais aussi le mode d’enregistrement par boucles (ADR) privilégie par nature largement le jeu et le rythme, et est beaucoup moins contraignant que la technique française à bande rythmo sur laquelle l’acteur lit le texte. J’estime que de même qu’il est difficile de regarder un film en lisant des sous-titres, de même il est difficile de jouer pleinement en lisant un texte au dessous d’une image. Seuls les meilleurs s’en tirent.

Bruno, qui fut le perchman de Jean-Pierre Ruh sur le film « Il était une fois en Amérique » de Sergio Leone, me raconta qu’après quelques jours de tournage, Ruh fut convoqué dans la loge de De Niro. Celui-ci voulait simplement prévenir l’ingénieur du son que tout au long du film il parlerait à très basse voix afin de maitriser les expressions de son visage, et qu’il serait de toute façon meilleur en post-synchro.

Mais vraiment aujourd’hui, on a fait de très belles images.

La République des enfants - Fin de journée

La République des enfants – Fin de journée

Par contre, mauvaise journée pour le son.  Il est dommage que nous n’ayons pas de rushes. Les rushes permettent d’une part une estimation de son propre travail, d’autre part ils sont un élément fédérateur d’une équipe. Enfin, et à mon sens le plus important,  ils permettent à chacun de prendre la mesure du travail des autres. Depuis que les rushes ont disparu, chacun travaille pour soi.

Il fait déjà nuit quand nous mangeons sur la terrasse face au vaste océan. Allez, demain devrait être meilleur.

 
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