Racket
Il est des lieux dans Maputo, le dimanche matin, qu’il vaut mieux éviter lorsque vous avez trop l’air d’un touriste !
Au Mozambique, il est interdit de photographier les immeubles administratifs, la police, l’armée, bref tout ce qui touche à l’État. Le Mozambique n’est pas un pays riche, ses fonctionnaires doivent être peu rémunérés, aussi sont-ils heureux d’avoir un travail, quand on voit le chômage endémique de ce pays, aggravé par le fait que la plupart des Mozambicains qui travaillaient au temps de l’apartheid en Afrique du Sud ont été renvoyés dans leur pays d’origine.
La police est multiple et omniprésente dans Maputo. Grise avec kalachnikov et fusil à pompe en bandoulière, c’est la police civile. Blanche avec la casquette et le carnet à souche, pistolet à la ceinture, c’est la police de la circulation.
Évitez de croiser l’une et l’autre si vous voulez conserver vos meticais.
Une autre police, politique, moins visible, qui se fond dans la foule, parfois reconnaissable aux costumes qui déparent, veille au régime mais ne s’occupe guère des touristes ordinaires.
Enfin il y a les groupes d’intervention, lourdement armés, masque à gaz, gilet pare-balle, fusil d’assaut, grenades à la ceinture. Et encore l’armée qui patrouille dans la ville en pick-up à toute heure.
Un pays où l’on pourrait se sentir en sécurité !
Avec le temps on les oublie, on fait avec, on sait éviter les pièges.
Mais pas ce dimanche matin, notre premier jour de repos et de visite de la ville. Petit déjeuner tardif, vous connaissez le topo, pas de coup de fil de la régie, c’est vraiment un jour de congé ! Vers onze heures Pierre et moi décidons d’aller faire un petit tour vers le bas de la ville, direction le port, en empruntant la célèbre avenue Samora Machel (héros de l’indépendance du Mozambique), une avenue avec contre-allées arborées, qui sert aux manifestations officielles, aux défilés finissant en apothéose sur la majestueuse place de l’Indépendance.
Il fait chaud, très chaud, chaleur pesante, soleil brûlant, nous gouttons, nous suons, nous soufflons, Pierre a mis la casquette, j’ai mon appareil photo en bandoulière, nous sommes blancs de blanc, des tourterelles. L’avenue, les rues sont quasiment désertes, tout est fermé dans ce quartier d’affaires. Alors que nous croisons l’avenue du 25 Septembre (Jour des forces armées de libération nationale) et nous dirigeons vers le port, tout en bas de l’avenue, quelques cris se font entendre dans notre dos, sans que nous y prêtions plus attention.
Cent mètres plus loin les appels se font plus insistants, nous nous retournons pour découvrir deux flics, des gris, lourdement armés, kalachnikov à l’horizontale pointée vers nous. L’un d’eux s’enquière de nos passeports, que nous n’avons pas car la production les avait pris la veille pour en faire des photocopies certifiées. On présente néanmoins de simples photocopies, le flic prend un air soucieux, comme embêté pour nous, feint de comprendre notre situation, bien qu’il ne parle pas deux mots d’anglais et nous trois mots de portugais. Au final, on perçoit bien que sous la menace de nous emmener au poste, ils n’attendent qu’une chose, les meticais. Pierre sort deux billets de 200 meticais, un pour chaque flic, ceux-ci les prennent discrètement et nous tournent le dos.
Échaudés d’avoir ainsi perdu quasiment un repas de défraiement et surtout de s’être faits avoir comme des pigeons, nous décidons de rentrer à l’hôtel en passant par la production pour récupérer nos passeports. Et voilà que 200 mètres plus loin, en remontant la fameuse avenue Samora Machel, trois flics, toujours gris, nous interpellent, on connait la chanson, demandent nos passeports, ceux-là ne parlent pas un mot anglais et nous toujours pas portugais, nous n’avons plus de petites coupures sur nous, et voilà un billet de 500 meticais qui disparaît rapidement dans la poche du gradé. Nul doute que les flics du coin s’étaient donné le mot par talkie !
Si le grand Samora Machel savait ce qu’on fait de son avenue !
Encore 200 mètres et nous voilà à la production. Mano a la gentillesse de nous y rejoindre, Castigo, l’administrateur mozambicain, écourte son jour de congé pour venir ouvrir le coffre fort qui contient nos passeports, et nous nous réfugions dans le havre de l’hôtel avec les précieux sésames.
Trouvant stupide de rester cloitré ainsi, je décide seul de retourner en ville dans l’après-midi. Passeport en poche, j’emprunte l’avenue Vladimir Lenine, parallèle Est à Samora Machel, histoire d’éviter nos copains corrompus. En bas de Lenine, voisin du luxueux VIP Grand Hotel, un immense centre commercial jouxte le port de pêche, le Maputo Shopping Center, avec cinéma à la Disney Land, parking bondé de voitures de luxe, Ferrari et 4×4 imposants, des boutiques dignes des Quatre-Temps de La Défense, un hypermarché aussi bien achalandé que mon Auchan. Il se murmure que tout ceci trouverait son luxe du marché de la drogue, mais bien-sûr ce ne sont que rumeurs colportées par certains médias occidentaux.
La nuit est déjà tombée quand je rejoins ma chambre et il est temps à nouveau de se préparer.
Ce soir, c’est dîner chez Madame la Consule du Portugal, dans sa propre maison. Serviteurs noirs vêtus de blanc, belle maison cossue avec jardin et piscine dans le quartier chic des ambassades, discours officiels en quatre langues, Madame la Consule, charmante quinquagénaire, à la couleur de cheveux d’un vert et d’un violet intrigants, s’exprime en portugais (encore heureux), en français, en anglais et en allemand (un peu plus difficile), avec une attention pour chacune des phonies présentes.
Les mondanités n’étant pas le fort de l’équipe, sitôt le repas-buffet terminé, par ailleurs excellente cuisine, tout le monde s’engouffre dans les voitures pour rentrer chez soi. C’est Franziska, coordinatrice de production mozambicaine, qui nous ramène au Rovuma après avoir enfin pu démarrer sa vieille Toyota à la batterie défaillante.