20. Caserne abandonnée

La République des enfants - Travelling

La République des enfants – Travelling

N’ayant pu faire le plein la veille en l’absence du bon d’essence, c’est un peu avant six heures que nous quittons le CCFM pour une halte à la station Total flambant neuve sur 25 de Setembro.

Bien que trois à quatre fois moins chère qu’en France, l’essence reste une denrée de luxe dans ce pays qui a connu des émeutes meurtrières en 2008 lorsque le gouvernement avait voulu en augmenter le prix. A cette époque, devant la pression de la rue, seul le diesel pour les minibus collectifs avait échappé à cette hausse.

Le bon d’essence signé, nous reprenons la route des plages.

Le décor du jour est encore plus loin sur cette piste que nous commençons à bien connaître. Après avoir dépassé la savane de la veille, nous continuons deux kilomètres dans des traces de plus en plus sableuses, où nous ne  croisons qu’une ou deux maisons isolées.

La République des enfants - Chiango, centre de détention

La République des enfants – Chiango, centre de détention

Quelques centaines de mètres avant d’arriver, se présente une côte pas très longue mais totalement ensablée. J’avais déjà eu du mal auparavant à tenir la voiture, prenant soin de garder malgré les bosses une allure constante et rapide pour ne pas risquer l’ensablement.

Je m’arrête quelques instants sur un endroit de terre, puis lance dans la pente le Toyota Noah aussi vite que j’estime raisonnable pour ne pas verser.

À l’arrière, le matériel brinquebale tant qu’il peut, je dois m’accrocher au volant pour ne pas cogner le plafond de la voiture. Les traces sont profondes et aux trois quarts de la côte, nous voilà plantés dans le sable.

Marche arrière, dans le sens de la descente ça va mieux. Retour au point de départ pour souffler et réfléchir.

Une voiture pointe dans le rétroviseur, je me mets un peu de côté pour laisser passer. Par bonheur, c’est David, notre Transport Manager, qui a la gentillesse de s’arrêter et de se proposer à conduire la voiture jusqu’au sommet de la pente.

La République des enfants - Camion ensablé

La République des enfants – Camion ensablé

C’est que l’homme du pays sait y faire ! Restés sur le bord du chemin nous voyons notre voiture démarrer en trombe, rebondir sur les bosses et escalader la pente, bien droite dans la trajectoire, à une vitesse incroyable, deux à trois fois plus rapide que ce que j’avais déjà estimé dangereux. J’ose à peine imaginer les secousses qu’ont dû encaisser les roulantes ! Chapeau Monsieur David !

Je reprends le volant pour les derniers mètres et veille à me garer le long du minibus sur le dur au milieu d’un terrain en partie sablonneux. Le camion machino n’a pas cette chance et c’est à l’aide d’un puissant tracteur qu’il faudra le sortir du bac à sable dans lequel il s’est planté en voulant se rapprocher au plus près du décor.

Pour le retour de ce soir, David prévoit avec l’aide de Bob de préparer la piste afin d’éviter tout risque d’ensablement. Voilà deux personnes sacrément efficaces.

Un petit tour à la table régie, oui, je sais, j’ai dit ne pas supporter de commencer la journée à la table régie, mais mes problèmes gastriques m’obligent à me nourrir comme hier de pain et d’eau fortement sucrée. A cause d’un soleil qui tape déjà, le mal de tête peine à s’effacer malgré une dose de paracétamol conséquente.

Dans la séquence d’aujourd’hui, Mon de Ferro perd au profit de Fatima le pouvoir sur le groupe qu’il dirigeait depuis les premières scènes du film.

Couché sous les tissus dans la charrette tirée avec peine par Fatima, il insulte celle-ci odieusement. Il y a là Toni qui suit docilement, Aymar qui dévore une mangue, et Bia qui ouvre la route en testant le terrain d’un bâton pour repérer les mines.

Arrivée en haut d’une petite butte, Fatima s’arrête pour souffler,  Mon de Ferro saute à terre pour la forcer à reprendre le chemin, Aymar lui propose une mangue, Fatima profite de cette instant de distraction pour bondir sur le soldat, Aymar s’empare de la Kalachnikov. Un coup part, moment figé d’inquiétude, Mon de Ferro  à terre a reçu la balle dans la jambe. Quand Fatima, à qui Aymar a passé l’arme, menace d’en finir avec son tortionnaire, Toni intervient pour lui sauver la vie, et le groupe repart avec un nouveau chef.

Voilà donc une séquence difficile, délicate dans le jeu des enfants, compliquée dans le réglage de la bagarre et la manière de filmer celle-ci.

La République des enfants - Casemates

La République des enfants – Casemates

Commençons par le commencement, ça permettra de voir après.

Loin de tout dans cette savane verdoyante, nous sommes dans une ancienne caserne transformée en centre de détention pour adolescents que l’on entend par moment.

Des casemates abandonnées, construites en parpaings, forment un alignement étonnant très graphique.

Un long travelling est posé à contre-jour dans leur perspective, afin de suivre en latéral la charrette tirée par Fatima jusqu’aux premières insultes que lui profère Mon de Ferro.

Le micro stéréo dans l’axe au loin pour l’ambiance, un micro d’appoint pour l’éloignement derrière une casemate, et la perche au dessus de la charrette. Il est déjà dix heures du matin quand nous terminons la quatrième prise de ce premier plan, pourtant simple.

La République des enfants – 16 / 1 t4 – perche, micro d’appoint au centre, stéréo MS décodé L&R

Rapide raccord moins large sur la réplique de Mon de Ferro qui jaillit des tissus et se redresse en maître de guerre.

La République des enfants - Perchée

La République des enfants – Perchée

Nous nous déplaçons ensuite pour aller au pied d’une butte sablonneuse. L’herbe est parsemée de piquants avec des pointes d’un bon centimètre qui pénètrent jusque dans les semelles.

Je replace le stéréo au plus loin, caché derrière une casemate, mais le groupe électrogène, qui n’a guère de possibilité pour se garer dans cet espace de sable, a du mal à se faire oublier.

La caméra est posée sur une base au sol, en contre-plongée, loin à l’opposé de la charrette, en longue focale. Ainsi le groupe apparaîtra par le bas du cadre avec une perspective écrasée.

João a du mal à préciser son cadre, on commence au 85 mm, on passe au 100, on déplace la caméra, on remet le 85 mm, au final je ne sais même pas quel est le cadre exact de chaque prise.

Dans ce plan, Fatima s’arrête essoufflée, Mon de Ferro se redresse et la menace brutalement, saute de la charrette, tire deux coups de feu à terre.

Enfin, c’est ainsi que l’on nous décrit ce qu’il est prévu de tourner.

Je suis dans une position compliquée, car au pied de la butte et perpendiculaire à l’axe de la caméra, je risque à chaque instant de rentrer un bout de perche dans un coin du cadre. Il m’aurait fallu un chemin de cubes pour me surélever mais depuis l’incident à la  menuiserie, nous ne demandons plus rien à Manuel.

Trois prises guère satisfaisantes au jeu puis, dans la quatrième, Flora ne coupe qu’après la réplique de Bia qui prévient Mon de Ferro que le terrain est probablement miné.

Du coup, pour la cinquième, je rectifie ma position, allonge la perche en conséquence, les personnages sont assez éloignés les uns des autres et les déplacements dans le sable sont épuisants. Mais cette prise va encore plus loin dans la scène, jusqu’au moment où Fatima bondit sur Mon de Ferro.

A la sixième, voyant comment les choses évoluent et m’attendant à tout, j’allonge au maximum et cette fois-ci, c’est toute la scène que nous défilons avec le long dialogue entre Aymar, Mon de Ferro, Fatima, Toni,  un texte jamais répété, dans des places totalement improvisées.

La République des enfants – 16 / 4 t6 – perche au centre, stéréo MS décodé L&R

Je vais voir Guilherme pour lui signaler qu’il nous prévienne à l’avenir car de tels plans ne peuvent vraiment pas s’improviser à la perche, à moins de travailler dans l’approximatif, en point milieu, comme je viens de le faire, et le résultat n’est franchement pas heureux. C’est tellement simple de poser une caméra au sol et de filmer en fixe et large une scène comme au théâtre. C’est que Guilherme, un type vraiment intéressant et sympathique, qui semble passionné par la direction d’acteur et en particulier celle des enfants, est avant tout un metteur en scène de théâtre qui n’a guère d’idée des contraintes techniques d’un tournage. Mais son intelligence et son écoute des autres saura rapidement combler ces lacunes.

Après cet exercice d’improvisation, coupure repas réduite comme hier à un peu de riz blanc, et je pars au loin dans la savane faire quelques ambiances de nature et de vent avec SX-R4 et USM 69.

Il fait très chaud, je suis un chemin qui mène au milieu d’arbustes, les insectes volent dans les herbes, au loin quelques maisons que je ne vois pas, des enfants passent. La précision de ce Neumann USM 69 est vraiment bluffante, malgré la bonnette Rycote, avec jersey et poils, et même si le mp3 ne vous en donne qu’une idée.

La République des enfants – W16 / 1 w1 – Ambiance savane, stéréo MS décodé L&R

La même ambiance avec un peu plus de vent.

La République des enfants – W16 / 1 w2 – Ambiance savane, stéréo MS décodé L&R

Je continue dans une autre direction en m’éloignant de la caserne pour arriver auprès des ruines d’anciens bâtiments abandonnés, une éolienne rouillée, des stalles pour chevaux à moins que ce ne soit pour des véhicules militaires, un lieu inquiétant et mystérieux dominé par un immense arbre dont le feuillage chante sous le vent qui parcourt l’immense plaine qui s’étend jusqu’au delta.

La République des enfants – W16 / 1 w4 – Vent puissant, stéréo MS décodé L&R

J’appelle Pierre sur son portable mozambicain, je tombe curieusement sur un type qui parle portugais. Pourtant pas d’erreur sur le numéro en mémoire dans mon téléphone. En revenant à la base, Pierre confirme qu’il a bien reçu un appel et qu’il n’a entendu qu’une voix portugaise. Les mystères de la téléphonie locale.

À la reprise, nous commençons par un  gros plan sur Fatima essoufflée qui s’arrête en haut de la butte au bord d’une zone sablonneuse peut-être minée. Puis c’est au tour de Bruce, notre armurier, d’entrer en action pour les deux coups de feu que tire Mon de Ferro.

La République des enfants – 16 / 5 t3 – perche, micro d’appoint au centre, stéréo MS décode L&R

Le micro stéréo est placé assez loin à l’opposé du son, un micro d’appoint est caché dans une des casemates pour servir de chambre de réverbération, et la perche est positionnée  à 90 degrés de l’axe de tir.

La République des enfants - Bruno et Anais

La République des enfants – Bruno et Anais

Par chance nous passons le restant de l’après midi à tourner des gros plans du dialogue qui feront oublier la piètre prestation de perche du plan séquence large.

Guilherme fait longtemps répéter les enfants pour obtenir le meilleur d’eux-même, car ceux-ci commencent a être particulièrement fatigués et perdent en dynamisme comme en intention.

Comme souvent avec les scènes d’enfants, on enchaîne les prises sans couper.

Le soleil descend rapidement dans le ciel et c’est dans la précipitation que nous terminons les derniers gros plans vers 16h30.

Je souhaite bien du courage à Dominique et au monteur son pour faire raccorder tout cela.

La République des enfants – 16 / 10 t1 – perche seule au centre

Sur le chemin du retour, la piste a effectivement été aménagée, les cuvettes de sable comblées par de l’herbe, il fait déjà nuit quand nous traversons les deux villages avec plus de facilité que la veille. Demain il est prévu de revenir une dernière fois dans le coin.

 
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