5. Le Conseil des Adultes
Bien que le matériel soit déjà en grande partie sur place, et la lumière somme toute à peine différente de la veille, un peu moins forte du dehors, un peu plus vive à la face, ce n’est pas avant 10h00 que nous tournons le premier plan de la journée alors que nous étions sur place dès 6h00 du matin. C’est long, très long, très très long, trop long !
Le Conseil des Ministres des adultes, au début du film, est le pendant de celui des enfants (ou l’inverse plus exactement).
Ici, la langue de bois est reine, les ministres s’invectivent, chacun défendant son propre intérêt, personne ne prête attention à Dubem, indifférent à toute cette agitation, et qui observe la ville par la fenêtre.
Le plan commence donc serré sur Dubem songeur, et lorsqu’il décroche de ses pensées pour rejoindre sa place, à gauche du Président, la caméra recule pour englober en plan très large la vaste salle du Conseil.
Cette salle est majestueuse, les boiseries créent de belles résonances, l’acoustique est tout à fait propice à une prise de son qui évoque la magnificence du lieu.
La République des enfants – 5 / 1 t4 – perche,micros d’appoint au centre, stéréo MS décodé L&R
Les acteurs ont des voix puissantes, bien posées, les timbres sont dynamiques, leurs querelles permettent de prendre de l’air.
Même principe que la veille, plutôt que d’équiper chaque ministre intervenant avec un HF, je pose plusieurs micros d’appoint sur la table, un Neumann KM 140 cardioïde pour englober deux personnes du fond, deux Neumann KM 150 hyper cardioïdes pour les deux ministres qui sont plus en avant.
Il y a moins d’objets sur la table, simplement quelques verres et carafes d’eau transparents. Mais avec la complicité de Patrick, l’accessoiriste, je peux arriver à masquer ces micros de la vision de la caméra, en jouant sur les positions des accessoires et la perspective, puis quelques papiers viennent couvrir les émetteurs et leur alimentation 48V.
Comme hier, je me retrouve tout en haut de mon échelle de 4 mètres, maintenue fermement par Jorge, avec la perche dépliée à son maximum, de l’autre côté de l’axe cette fois-ci, à côté d’un HMI 12 K, il y fait chaud, très chaud. J’arrive à placer le micro à 3-4 mètres au dessus des acteurs, au milieu des cristaux d’un immense lustre qui surplombe la table. Bien sûr, mon micro stéréo favori, l’USM 69, vient compléter le dispositif, toujours pour donner de l’ampleur à la salle.
Pour la lumière et les impératifs d’un plan qui ne sera tourné que le lendemain, deux grandes fenêtres de la salle sont ouvertes. On a beau être samedi, la circulation sur la place de l’Indépendance est assez constante et un chantier de construction voisin, que la régie n’aura pas réussi à faire stopper, même le temps des prises, vient troubler une ambiance de fond déjà chargée. Sans parler des ventilateurs de ballast HMI qui sont sur le balcon voisin et que nous essayons tant bien que mal d’amortir en plaçant des couvertures dans leur direction.
Il n’y aura pas d’autres plans raccords sur les ministres, on peut donc considérer que ce plan large ne sera pas coupé, cette ambiance forte devient dès lors admissible, d’autant plus qu’à ce moment du film, nous sommes encore dans la ville des adultes. On peut même penser qu’à cause de ces bruits de chantier, les ministres n’entendent pas les assaillants arriver, que seul Dubem à la fenêtre a peut-être vus.
Est-ce de cela dont parle Flora à Danny ? Angela traduit, Guilherme, le coach des enfants, vérifie son texte, Dino à l’arrière observe. Teresa, l’habilleuse, n’est jamais bien loin pour répondre à toute demande de la star.
Cinq prises et aucune n’est vraiment satisfaisante pour le son, entre l’extérieur bruyant ou les accrocs sur le texte, aucune ne peut décemment être montée telle que. Mais comme la dernière prise plaît à l’image, on s’arrête là.
Nous refaisons alors plusieurs fois la scène en son seul, c’est à dire sans que la caméra tourne, on peut fermer au moins une fenêtre, Paulo a éteint les projecteurs et ballasts bruyants, je peux être plus présent sur chaque ministre, de façon à écraser un peu le fond sonore, et ça tombe bien, le chantier s’est arrêté pour le déjeuner.
La République des enfants – 05 / 1 w2 – Son Seul – perche mono
Avant cela, nous avons assez rapidement tourné trois plans sur Dubem qui vient s’assoir à la gauche du Président, tous dans le même axe, un relativement large, un moyen et un dernier plus serré, dans lesquels il fait tomber ses lunettes.
Le scénario semblait suggérer que la chute des lunettes était accidentelle, Danny semble l’avoir interprété différemment (très justement, à mon sens), il fait tomber ses lunettes pour se retrouver sous la table, à l’abri de ce qui va se passer et qu’il a peut-être pressenti lorsqu’il était à la fenêtre. Il cherche différents gestes qui soient à la fois discrets mais qui marquent cette double intention.
La République des enfants – 5 / 4 t3 – perche au centre, stéréo MS décodé L&R
J’ai un peu de mal à placer la perche sur lui, on est pile dans l’axe des projecteurs et João ne veut pas couper le fond avec un drapeau.
Après les sons seuls, il est temps d’aller manger, la cantine s’est royalement installée sur l’herbe devant l’Hôtel de Ville, à l’ombre des murs imposants.
Les plans de l’après midi consistent à filmer Dubem sous la table à la recherche de ses lunettes.
A quatre pattes, ronchonnant, il avance à l’aveugle, tâtonnant le sol et les jambes qui l’entourent, entre les pieds des ministres qui repoussent toujours plus loin ses précieuses lunettes.
Une explosion lui fait relever la tête qu’il se cogne bien évidemment ; surgissent alors, hystériques, la secrétaire et un général va-t-en-retraite.
Quand Dubem se relève, la salle est déjà vide.
La caméra en position basse pour pouvoir se glisser entre les pieds des ministres, recule sous la table au fur et à mesure qu’il s’en rapproche.
Deux prises larges sont tournées, elles semblent ne pas vraiment satisfaire quiconque. On refait une dernière prise en plus serré.
Il est évident que je ne peux suivre la progression de Danny sous la table par en haut, pas plus que par en bas. Je serai donc sur le côté droit, à l’opposé de la lumière. Pour marquer le geste du pied qui envoie valdinguer encore plus loin les lunettes, je cache une capsule de KM 150 au bout d’un câble passif sur un des montant de la table. A l’endroit où Dubem va se cogner la tête, je place une seconde capsule avec un coude et un bon tas de pâte américaine.
Enfin, pour percevoir correctement off (hors champs) la secrétaire et le général qui déboulent affolés à la suite d’une explosion, je rajoute un dernier micro sur pied dans leur axe.
Quand Dubem se cogne la tête, il grommelle quelques mots, Pierre préfère raisonnablement que je pose un micro HF sur lui. Le costume n’est pas facile, le noeud de cravate est assez serré, je décide de mettre la capsule Sanken COS 11D sous celle-ci griffée avec un Vampire clip, je fais remonter le fil tout au long, passe dans le col, puis sur l’épaule, refais descendre le fil dans le dos et je place l’émetteur Audio Ltd 2040 mini sur la ceinture.
Trois micros d’appoint, un micro-cravate, un couple stéréo, voilà de quoi remplir les huit pistes du Cantar avec le mixdown. Cet enregistreur n’a que cinq entrées micro, mais grâce à l’iTak de DC Audiovisuel nous pouvons avoir en tout jusqu’à neuf sources sonores à répartir sur les six pistes en plus des deux de mixdown (mixage bipiste des six pistes dites ISO ou divergées).
La République des enfants – 5 / 6 t1 – perche, micros d’appoint et HF au centre, sans le stéréo
A la dernière prise, juste en fin de plan, le fil se détache du haut de la cravate et, du coup, se voit sur la chemise blanche. Je pensais l’avoir pourtant correctement scotché, c’était sans compter les mouvements violents de l’acteur. Je suis confus, pour un premier HF, je n’ai pas fait fort ! On repasse dix fois la prise sur l’écran du combo, pour finalement décider que la fin du plan sera coupée au montage. Ouf !
La journée se termine sur cette mauvaise impression d’avoir failli à son devoir, je rentre à l’hôtel voisin et vais oublier cela avec une bière à la terrasse du bar, admirant le coucher du soleil sur Notre Dame, au fond l’Hôtel de Ville fait déjà penser à la journée de demain.