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Anniversaires

Rovuma - Restaurant

Rovuma – Restaurant

Premier réveil au Mozambique après une nuit chaude mais calme et profonde.

Enfin une grasse matinée qui s’annonce tranquille.

Petit déjeuner tardif sur les coups de neuf heures, parfait, copieux, varié, si seulement les oeufs brouillés pouvaient être légèrement plus baveux et le bacon à l’anglaise, un véritable repas. L’immense salle de restaurant est assez agréable, n’étaient cette musique new age et ces sièges dans lesquels on est assis trop bas.

Le buffet offre tout ce que l’on peut désirer pour un véritable repas complet, de quoi se nourrir pour la journée.

Mais c’était sans compter les caprices de l’administration mozambicaine !

Il n’est pas dix heures que nous sommes appelés en urgence par la régie pour nous rendre au plus vite sur le lieu de stationnement des camions, à quelques pas de là, le long de la cathédrale Notre Dame de la Conception qui jouxte l’hôtel.

La douane qu’on espérait au mieux lundi, venait d’ouvrir les scellés, un soulagement pour la production qui pensait déjà devoir repousser le tournage d’un ou deux jours.

Du coup, la journée de samedi sera consacrée au déballage et à la préparation du matériel. Après tout, on est là pour ça !

9. Un décor incompréhensible

Maputo - Malanga

Maputo – Malanga

Il y a des jours où rien ne va, ce matin je suis morose et ma journée se terminera en catastrophe. Il faut alors laisser le temps passer.

Pour la première fois depuis le début du tournage, nous prenons la direction de l’Ouest, Malanga, un quartier vers la sortie de la ville. C’est simple, depuis le Centre Culturel, c’est tout droit, de la place de l’Indépendance, il suffit de suivre Avenida Josina Machel. Seulement voilà, cette avenue plutôt étroite croise toutes les grandes avenues Nord-Sud de Maputo, et il ne faut pas se tromper dans le sens des priorités, quand on roule à gauche depuis seulement 4 jours, c’est éprouvant et dangereux. Le plan milésien c’est bien, quand il y a des feux.

Une des rares journées mixtes du plan de travail, enfin mixte (à cheval sur le jour et la nuit) c’est beaucoup dire, il est prévu de terminer (retour à l’hôtel) à 21h30. Comme le soleil se couche vers 17h10, il y a quasiment quatre heures de nuit effectives. A João ensuite de bien anticiper sa lumière de nuit pour en profiter au maximum. Je n’y crois pas trop, il y a tellement de chef op. qui attendent la nuit complète pour commencer à songer où placer les projecteurs.

Nous partons donc à 10h15. Enfin un peu plus tard, les assistantes caméra, Inês et Silene, qui accompagnent Bob,  sont en retard, comme trop souvent. Je n’aime pas attendre. Je colle  donc au minibus de Bob au plus près, à chaque croisement il faut se rappeler sans cesse : d’abord regarder à droite ensuite à gauche. A droite, à gauche, à droite, à gauche. Avec ma dyslexie naturelle, ça tourne en boucle dans ma tête. C’est mortel, heureusement Pierre est là pour veiller. Les fumées du minibus me rendent malade. J’ouvre la fenêtre pour un peu d’air, c’est pire. Je déteste le diésel. Nous arrivons sur le plateau, il faut encore palabrer avec Yardena pour pouvoir enfin stationner pour la journée. C’est pénible. On a à peine fini de sortir le matériel de la voiture, Pierre s’en va déjà sur le plateau avec la roulante, me laissant avec tout le reste à transporter. Ça m’énerve.

25. Infulene

Maputo - Infulene

Maputo – Infulene

Il est prévu que nous allions tourner neuf jours dans le décor de l’hôpital à Infulene. Sans itinéraire, nous n’avons aucune indication d’où se trouve cet endroit.

Après  les quelques minutes nécessaires à attendre que le minibus caméra soit au complet, nous partons vers six heures du matin et suivons donc notre poisson pilote Bob au plus près.

En passant devant le décor de la menuiserie, nous pensons un instant que nous allons dans l’hôpital qui lui fait face. En fait nous nous engageons sur la terrible Avenida de Moçambique que prolonge la route EN1 que nous avions empruntée pour aller à la plage de Macaneta. La feuille de transport prévoit 45 minutes, ça ne doit donc pas être la porte à côté.

La route commence par une petite portion à quatre voies séparées, ça file assez vite. Nous croisons un premier rond-point très encombré d’où partent de nombreux minibus, le trafic est chargé à cette heure-ci, la foule envahit l’espace jusque sur la chaussée. La route s’est rétrécie, le sens inverse, vers Maputo, est quasiment saturé, tous les cent mètres un minibus débouche du bas-côté pour s’immiscer dans la circulation.

Nous longeons l’aéroport sur son côté Ouest, à notre gauche des kilomètres de township défilent où une population dense s’active. Un peu plus loin, nous passons un carrefour totalement congestionné de minibus, de camions immenses et de voitures qui forcent le passage.  Avant le rond-point suivant, des travaux ralentissent encore un peu plus le flot. Enfin, subitement, la route devient parfaitement lisse et dégagée, nous pouvons filer et, bientôt, nous voilà devant l’hôpital Infulene dont l’entrée se situe juste après une passerelle pour piétons.

Une dizaine de kilomètres qu’il nous aura fallu 1/2 heure pour parcourir. Penser qu’il va falloir faire encore 17 fois ce trajet nous démoralise déjà !

27. Admission dans la République

Attention, ce chapitre contient des images susceptibles de heurter la sensibilité des plus jeunes, de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des moins de 12 ans.

En conséquence, veuillez activer  le contrôle parental de votre ordinateur.

Ça tombe bien, aujourd’hui nous avons tous les enfants du tournage, les soldats et les républicains, dont la petite Sarah, six ans, le jeune Bruno, à peine huit ans, Maurice, onze ans. Le spectacle qu’on leur impose est pour le moins choquant.

29. Salle d’attente

La République des enfants - Trois

La République des enfants – Trois

Chez le dentiste, chez votre médecin ou même à l’hôpital, les salles d’attente sont des lieux où par nature on s’embête.

Heureusement, il y a toujours un journal qui traîne pour faire passer le temps, un Paris-Match, un Gala ou un Voici, ces journaux de voyeur qu’il ne vous viendrait jamais à l’idée d’acheter en temps ordinaire, ou mieux un Okapi voire un Journal de Mickey qui vous replonge dans votre tendre enfance.

Mais aujourd’hui, là, dans cette salle d’attente du bloc Acácias de l’hôpital psychiatrique de Infulene, banlieue de Maputo, Mozambique, il n’y a rien.

Mais alors rien qui puisse vous donner envie d’y rester, pas même un vieil exemplaire du Monde qui eût comblé de joie Pierre !

La nuit porte conseil.

Le dernier plan de la journée d’hier est à refaire, les quatre prises de la veille iront directement dans le Bin Trash de Final Cut Pro. Nous allons donc faire ce plan autrement, selon l’idée de Flora.

32. Fin de décor

Infulene - Dépôt de munitions

Infulene – Dépôt de munitions

Du haut de la passerelle qui enjambe la route EN1 face à l’hôpital où nous tournons, on aperçoit au loin une immense zone arborée non construite et totalement enclavée dans les townships.

Vue du ciel, celle-ci est encore plus mystérieuse, on y distingue des traces qui évoquent les géoglyphes de l’antique civilisation Nazca au Pérou.

C’est en fait un terrain militaire totalement bouclé et sécurisé, un ancien dépôt d’armes et munitions construit par les soviétiques en 1984 à l’époque de la guerre civile qui ensanglanta le pays de 1977 à 1992.

Le 22 mars 2007, l’ensemble du dépôt explose.

Pendant quasiment trois heures, les munitions, roquettes, bombes et armes de toutes natures illuminent le ciel de Maputo, réchauffant l’atmosphère à des kilomètres à la ronde, causant une centaine de morts et plusieurs centaines de blessés.

34. Deux poids, deux mesures

La République des enfants - Mains dans les poches

La République des enfants – Mains dans les poches

Les jours se suivent et ne se ressemblent vraiment pas. Hier, le grand air, la savane, le soleil malgré un vent frais, le calme de la campagne. Les vacances en quelque sorte.

Aujourd’hui, la grisaille, le béton, la saleté, le froid hivernal, le bruit.

Nous voilà à nouveau dans un de ces décors incompréhensibles auxquels les repérages nous ont si bien habitués, surtout depuis Infulene. Il ne faut pas chercher à comprendre, ne cesse de répéter Pierre, mais comprendre pourquoi nous sommes là, c’est aussi comprendre le mode de fonctionnement des personnes qui choisissent les lieux.

Cela peut influencer les rapports que nous entretenons avec eux, permettre de mieux saisir leurs points de vue, s’accorder avec leur façon de penser et de travailler. Vous me direz, après six semaines de tournage, c’est un peu tard ! Et vous auriez raison, nous n’avons plus grand chose à attendre.

37. Les trois jours de Mafalala

La République des enfants - Enfants de Mafalala

La République des enfants – Enfants de Mafalala

Il aura fallu attendre six semaines avant que nous ne tournions dans ce qui caractérise l’agglomération de Maputo, ses immenses quartiers périphériques qui entourent la ville haute sur des kilomètres, le véritable habitat de la population pauvre de la capitale.

Mafalala est un de ces quartiers qui longent la route menant à l’aéroport.

Sans être à proprement parler des townships, ce mot évoque la ségrégation raciale en Afrique du Sud, ni vraiment des bidonvilles, ces quartiers sont extrêmement denses, l’habitat est un mélange de maisonnettes en dur et de baraques de bois et tôles ondulées.

Un habitat qui pourrait apparaître précaire donc mais dans lequel vit la majorité de la population de Maputo depuis des décennies.

Les rues de terre et de sable sont étroites, et si l’on n’a pas le sens de l’orientation, il est facile de se perdre dans des passages labyrinthiques.

Les voitures y sont rares, l’eau est le plus souvent tirée de pompes communes, le mode de vie est calqué sur celui des campagnes, avec la cour comme élément central autour de laquelle s’articulent la vie sociale et les occupations de la journée.

39. Les enfants de Mafalala

La République des enfants - Patrick et Joachim

La République des enfants – Patrick et Joachim

Hier nous étions rapidement rentrés à l’hôtel pour profiter au plus vite d’un repos réparateur car ce matin nous commençons à l’aube, enfin presque, à sept heures.

C’était sans compter les préparatifs de la fête de l’Indépendance sur la place du même nom au pied de l’hôtel. Je ne sais pourquoi les ouvriers sont toujours en train de taper du marteau, décidément leurs échafaudages paraissent bien complexes à monter.

Le pire sont les gars de la sono qui se sont mis en tête de faire leur balance des volumes la nuit et, jusqu’à une heure du matin, ce fut techno et rock à fond d’ampli.

Comme les vitres de l’hôtel sont plus que légères, non doublées, le niveau sonore dans les chambres était quasiment équivalent à celui d’une boîte de nuit. J’ai donc passé la nuit sur un matelas de fortune installé dans la salle de bain, avec la double porte, j’ai enfin pu dormir quelques heures.

Adieu Mozambique

La République des enfants - Sur la piste

La République des enfants – Sur la piste

Il fait nuit noire. La Lune nous a abandonnés. Il faut suivre le minibus caméra, il faut suivre notre poisson-pilote. Il ne faut surtout pas le lâcher, nous nous perdrions dans les townships.

D’abord regarder à droite, ensuite à gauche, à droite, à gauche. Quand on tourne à droite, il faut aller au fond du carrefour. À droite, au fond, à gauche, tout de suite. Ça tourne, moteur, action.

Nous suivons. La ville est déserte, abandonnée, Samora Machel dévastée est jonchée de débris, sur la place de l’Indépendance, quelques voitures fument encore,  partout des fruits écrasés ont bariolé la grisaille du macadam.

Le vent balaye une poussière rouge que la faible lumière des lampadaires n’arrive pas à percer.

À gauche dans Jardim Tunduru, des huttes de paille brûlent les derniers grains de millet de la saison, la fumée tourbillonne dans la tempête qui rugit et apporte de loin le chant des enfants dans une classe d’école.

Epilogue

Aux dernières nouvelles, Dominique a repris le montage image trois mois après la fin du tournage, en France. Flora Gomes serait à Paris pour y assister. Espérons que le montage son s’y fera aussi afin que nous puissions participer à celui-ci et nous assurer de la collaboration de monteur son et de mixeur que nous connaissons.

Il m’aura fallu nettement plus de temps pour écrire et mettre en page ce journal que de temps effectif de travail sur le plateau. Bien que daté des jours de tournage réels, il a été rédigé avec deux mois de décalage, de début août à fin septembre, certains souvenirs se sont depuis estompés, des faits marquants ont été volontairement occultés. Plus qu’un récit sur le tournage d’un film, ce journal décrit le travail du son sur un plateau de cinéma, c’est un point de vue tout à fait subjectif d’un perchman.