27. Admission dans la République

Attention, ce chapitre contient des images susceptibles de heurter la sensibilité des plus jeunes, de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des moins de 12 ans.

En conséquence, veuillez activer  le contrôle parental de votre ordinateur.

Ça tombe bien, aujourd’hui nous avons tous les enfants du tournage, les soldats et les républicains, dont la petite Sarah, six ans, le jeune Bruno, à peine huit ans, Maurice, onze ans. Le spectacle qu’on leur impose est pour le moins choquant.

Incroyable, nous sommes arrivés depuis moins d’une demi heure que nous tournons déjà notre premier plan de la journée ! Avant de passer à la séquence 26 prévue aujourd’hui à la feuille, nous avons en effet deux plans en retard de la journée d’hier. A peine avons-nous descendu les roulantes qu’Angela demande déjà la moteur. Neuf prises sur Stephen, huit sur Melanie en moins d’une heure trente.

La République des enfants – 51 / 3 t9 – perche, micro d’appoint au centre

A neuf heures, nous changeons de décor, dans le même couloir, à quelques pas du réfectoire-pharmacie. Nous pouvons démarrer la journée.

Commençons donc par prendre la mesure du lieu.

 
La République des enfants - Infulene

La République des enfants – Infulene

La République des enfants - Infulene

La République des enfants – Infulene

La République des enfants - Infulene

La République des enfants – Infulene

 

Nous sommes toujours à l’hôpital psychiatrique de Infulene. Une grande salle carrelée, huit mètres sur huit, à gauche la cour des hommes, à droite celle des femmes, en face leur dortoir, derrière la porte du couloir s’échappent les hurlements de quelques aliénées.

 
La République des enfants - Infulene

La République des enfants – Infulene, cour des hommes

 

La décoration a aménagé ce lieu en salle d’attente, deux banquettes, une table basse, au fond à gauche, un bureau avec un ordinateur pour enfant et un téléphone ancestral, à droite un second bureau, une balance et une règle de mesure accrochée au mur.

Bien sûr, il n’y avait à Maputo aucun autre lieu qui puisse servir de salle d’attente si ordinaire que celle-ci. Heureusement que les personnes en charge du repérage ont découvert ce lieu magique et unique, sans quoi le tournage aurait été gravement en danger. Incontestablement ce décor sublime sera l’apothéose du film.

Nous en sommes au tiers de l’histoire. Les enfants soldats ont été recueillis par ceux de la République après la tempête qui les a téléportés dans la Ville. Une longue séquence, notablement modifiée la veille par Flora, Guilherme et Angela. Deux jours sont prévus pour sa mise en boîte.

La petite Sarah s’est installée derrière le bureau, en bonne secrétaire elle range ses stylos, ordonne les papiers, replace le téléphone et commence à taper sur le clavier avec un professionnalisme digne de Pigier.

Nuta arrive dans la salle en poussant un chariot fort bruyant tandis que les (fausses) jumelles, Aimie (Esther) et Aimé (Veronicka), commencent  à s’occuper des mesures des nouveaux arrivants.

Les cinq enfants soldats sont là, Mon de Ferro semble ailleurs, Toni est avachi, pâle et faible. Chacun leur tour, ils se font mesurer par Aimie, en effet on ne peut dépasser 1 mètre 60 pour être admis dans la République des enfants. Ça va j’ai encore mes chances.

Un premier plan large, les enfants soldats sont assis sur les banquettes, Fatima et Bia en amorce au premier plan, les jumelles officient contre le mur du fond. J’équipe d’un micro HF Aimie qui dirige les opérations, et place un petit micro sur la table d’Aimée qui note les résultats. Je suis forcément assez haut au dessus des deux filles, la perche dépliée au maximum pour atteindre le fond du cadre.

La République des enfants – 26 / 1 t5 – perche, micro d’appoint et HF  au centre

À la troisième prise, mon micro rentre dans le champ, il est pourtant fixe et vraiment très haut et de plus, contre le mur, j’ai un repère parfaitement défini sur lequel je ne peux me tromper. De fait lorsque que Fatima va reprendre sa place au premier plan, João a recadré vers le haut avant qu’elle ne s’assoit. Il ne l’avait pas fait aux deux précédentes prises, je lui fais remarquer qu’il est bizarre d’avoir à recadrer dans un plan très large, en tout cas c’est mon opinion qui sous-entend que si on le fait, c’est qu’on a mal composé son cadre dès le départ. Réponse cinglante du chef-opérateur, l’œil noir «le cadre c’est mon affaire, pas la tienne».

On ne doit jamais mettre en cause une personne sur un plateau. Mais l’inconstance d’un cadreur est une des pires difficultés pour un perchman particulièrement quand ce cadreur ne surveille pas ses bords cadre dans la réserve de son viseur. Ceci dit la réserve de la RED est assez minimale et sombre.

On refait cette partie de la séquence plusieurs fois sur les deux jumelles, j’obtiens de Paulo qu’il place un drapeau en tête du projecteur de face très haut, ce qui permet de les avoir correctement au son.

Une fois de plus, Ana est obligée de mettre son grain de sel pour que les regards et les axes de caméra soient concordants.

Les deux petites Veronicka et Esther  qui ne sont pas jumelles du tout,  sont vraiment parfaites, naturelles, concentrées et exactement dans le ton de la scène, à tel point que Guilherme n’intervient guère pour les diriger.

Arrive le Président du Jour, Quemo interprété par le grand Mura, vêtu d’un costume deux pièces qui ne lui sied guère. En s’adressant aux enfants soldats, il édicte les conditions d’admission dans la République des Enfants.

La République des enfants – 26 / 5 t4 – perche, micro d’appoint au centre

Premier plan large, Fatima et Bia sont assises en amorce, Quemo vient se placer dans la profondeur. J’installe un micro d’appoint pour l’intervention de Fatima et place la perche sur le Président et Nuta à ses côtés. Le rigide Mura aura quelque  mal avec son long texte, un peu déstabilisé par les indications de Guilherme. La porte sur cour, restée ouverte après l’entrée de Quemo, laisse passer la circulation lointaine et les ballasts des HMI, un fond loin d’être propre.

Nous n’avons pas le temps de continuer, il est déjà 16h30, l’heure de reprendre la route après avoir rangé les roulantes dans le local prévu à cet effet.

La veille, j’avais repéré sur Google Maps un itinéraire passant à l’Est de l’aéroport et qui permettrait d’éviter les embouteillages de la route EN1, en particulier la zone de travaux et le carrefour systématiquement congestionné. Si l’on pouvait faire moins que les 45 minutes d’hier en plus agréable…

Pierre, méfiant, n’est pas chaud, mais c’est moi qui conduis et je suis parfois têtu. Au premier rond-point, plutôt que de continuer tout droit sur le trajet habituel, nous tournons à gauche sur Avenida Maria Ludes Mutola. Nous continuons cette route qui roule plutôt bien jusqu’au rond-point suivant et nous bifurquons à droite sur une avenue que Google Maps appelle déjà Avenida Julius Nyrere et qui mène théoriquement directement au centre de Maputo.

La chaussée est plus étroite, les bas côtés sont encombrés, nous sommes dans un zone de townships dense, populeuse, mais ça roule toujours, en tout cas dans notre sens. A Maputo, en fin de journée, c’est comme à Paris, c’est totalement bouché du centre vers la banlieue. Donc tant que ça roule, c’est qu’on va vers Maputo.

Au rond-point suivant, la sortie qui nous fait face et que nous devrions prendre pour continuer Julius Nyerere, est totalement envahie par les piétons, il y a bien une voiture qui s’y dirige, mais n’osant braver cette fourmilière compacte, nous bifurquons en biais vers la droite sans savoir qu’en fait l’avenue que nous venons de prendre est Avenida Vladimir Lenine qui mène droit à l’hôtel !

Du coup, au lieu de continuer tout droit, nous tentons de rattraper Julius Nyrere plus loin en retournant à gauche. Nous nous retrouvons alors en plein township dans un labyrinthe de rues étroites dont certaines s’avèrent être des culs de sac.

On tourne en rond un bon moment pour finalement retomber sur une rue à la circulation dense, particulièrement dans le sens que nous empruntons.

J’essaye de me repérer avec les pylônes des relais GSM que je sais alignés Sud-Nord à l’Est de l’aéroport. La nuit est tombée depuis un moment et les rues ne sont pas éclairées, il faut se l’avouer, nous sommes perdus, l’ambiance est morose dans la voiture, le lieu semble hostile, le quartier ne doit pas voir beaucoup de blancs.

Nous croisons un flic à moto, Pierre préfère l’éviter. Sur mon insistance, il finit par demander le chemin de l’aéroport alors que nous sommes empêtrés en plein milieu d’un carrefour. Nous nous retrouvons, je ne sais comment tellement nous avons tourné, sur Reo da Beira, arrivons enfin le long des pistes dont nous faisons le tour pour trouver l’aérogare.

Voilà déjà une étape, il suffit maintenant de retrouver le chemin que nous avions pris lors de notre arrivée dans le pays. Seulement de nuit, rien n’est pareil ou, plutôt, tout se ressemble. On s’engage sur la plus grande avenue qui soit, à 2×3 voies avec terre-plein central, à priori c’est celle qui mène à la ville. Mais subitement elle se rétrécit en sens unique, un passant en attente de minibus nous indique de continuer tout droit pour aller au centre ville. Nous sommes Avenida Guerra Popular, l’avenue qui mène directement à la gare centrale.

Bref, deux heures et demi après notre départ de l’hôpital nous arrivons au Centre Culturel, je dépose Pierre légèrement agacé au pied de l’hôtel. Il faudra que je songe à dire à David qu’il manque un GPS dans notre voiture. Dorénavant on prendra la route normale.

Toujours fiévreux, j’achète un thermomètre à la pharmacie du coin, il affiche un bon 39,2 °C. Demain j’en parlerai à la production.

Plus que six jours.

 
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