40. Indépendance Nationale
Je ne sais pas si c’est par défi, inconscience, aveuglement, irrespect ou mépris que la production portugaise a décidé de tourner le jour du 35ème Anniversaire de l’Indépendance Nationale de son ancienne colonie, le Mozambique.
Cette nuit fut celle qui précède la tempête car nous avons été prévenus qu’il y aura de la musique et des festivités jusqu’à l’aube de la suivante.
Officiellement, le son est convoqué ce matin à dix heures. La veille Angela nous a spécifié que les premiers plans seront muets car tournés sur la plage avec un quad, si bien qu’elle nous a gentiment accordé grasse matinée jusqu’à midi.
À neuf heures du matin, je suis appelé en urgence par Yardena car la voiture, toujours stationnée Rua da Radio alors que les camions sont déjà partis, doit quitter les lieux. Elle me conseille de la garer sur le parking du Rovuma et elle me laisse là à me débrouiller tout seul avec les milliers de flics qui bouclent le quartier.
La troupe est déjà en attente sur la rue si bien que je ne peux pas reculer pour rejoindre le parking à cinquante mètres dans mon dos. Je suis alors contraint de descendre Samora Machel au milieu d’une foule déjà dense.
Il faut rappeler que je conduis sans permis et qu’ici la police est la reine du racket et de l’arbitraire, à chaque mètre parmi la foule dans cette voiture d’Européen, je risque le lynchage.
Devant Jardim Tunduru j’essaye de me faire comprendre d’un flic qui me semble plus gradé que les autres et qui doit donc parler anglais, que je travaille dans le coin et dois absolument rejoindre l’hôtel Rovuma par la rue Henrique de Sousa qui remonte le long du parc.
Que nenni, le gradé, qu’une dizaine d’autres flics sont venus rejoindre pour cerner la voiture, ne veut rien entendre et me fait signe de circuler.
Je continue donc à descendre jusqu’à 25 de Setembro, limite du bouclage, et je me demande soudain si je pourrai pénétrer à nouveau dans la zone, me voyant déjà être obligé d’appeler au secours je ne sais qui.
Je tourne à gauche pour rejoindre Vladimir Lenine, par chance celle-ci est restée ouverte à la circulation, je peux alors remonter vers Rua da Radio. Là nouveau palabre avec un type qui ne comprend rien à mon charabia anglophone et n’est pas sensible aux mots « Filmagem », « Rovuma », « Hotel », tout ça commence à m’énerver grave si tôt le matin, je peste contre les bonnes idées de Yardena.
Je suis contraint de remonter Lenine en me disant que je pourrais peut-être faire le tour par Ho Chi Min ou au pire par 24 de Julho. Et c’est là que je remarque avec bonheur que la flicaille a oublié de clôturer une petite ruelle, Serra Pinto, au macadam totalement défoncé avec des trous énormes mais qui donne juste derrière l’hôtel. Vaille que vaille je m’engage dans celle-ci en évitant les pièges, m’attendant à tout moment à un coup de sifflet dans mon dos. Enfin me voilà à l’arrière du Rovuma, et quelques instants après la voiture est stationnée devant sa porte d’entrée.
Ah mais vraiment, je la retiens Yardena, avec ses plans foireux, il aurait été tellement simple de se garer sur ce parking dès la veille.
Du coup, alors que le reste de l’équipe est déjà au turbin, je peux assister aux cérémonies et clamer avec le peuple « Viva o 35o Aniversário da Independência Nacional ».
Maputo – Indépendance – Chants, percussions et vuvuzela – pcm-d50 – stéréo AB
La foule attend sagement sur le pourtour et au centre de la place, je me retrouve je ne sais comment derrière le cordon de sécurité, au milieu des soldats, quand arrive un convoi surprotégé par des hommes en tenue de combat avec casque anti-émeute, gilet pare-balle, fusil, grenades.
Alors que je suis en bermuda et t-shirt, sac au dos, avec mon PCM-D50 dans une main, l’appareil photo dans l’autre, une meute de photographes et de cameramen en costume cravate se précipite pour filmer le type qui descend du véhicule.
Celui-ci s’empare d’une sorte de torche qu’il s’en va amener jusqu’à la tribune officielle.
Je ne sais qui est ce personnage mais son escorte laisse à penser que c’est un personnage plus qu’important du Mozambique. J’ai pensé à un moment que ce puisse être le Président du Mozambique Armando Guebuza car même Obama n’a pas une telle escorte armée.
Maputo – Indépendance – Canonnade – pcm-d50 – stéréo AB
Toujours est-il que je préfère m’écarter rapidement de ce cortège, les coups de feu partent sans prévenir ici et les coups d’état sont si vite arrivés dans ces pays.
Cela dit je suis juste en face de ce héros de l’Indépendance, devant tous les photographes et cameramen officiels, il y a comme une faille dans la sécurité, n’est-ce pas ? Bon à l’arrière c’est un peu plus imposant selon la vieille tactique militaire qui veut qu’on protège plus les arrières que le front.
Ce 25 juin, c’est aussi le jour du match Portugal-Brésil, la production a alors décidé d’organiser la journée pour que l’équipe (de tournage) puisse assister à la victoire de son équipe (de foot), la coupure repas est donc bizarrement à 16h00 et devra durer au moins deux heures. Je me demande pourquoi nous n’avons pas eu droit à la même attention quand la France s’est faite battre par l’Afrique du Sud lorsque nous étions mardi dans la maison Nuta.
Nous partons avec Pierre sur les coups de onze heures et demi, sans se presser. Pour échapper la place noire de monde, nous remontons vers 24 de Julho puis rattrapons ensuite Lenine pour rejoindre 25 de Setembro et Costa do Sol. Nous allons aujourd’hui pour la dernière fois sur la plage des premiers jours.
J’en profite pour faire quelques emplettes touristiques, t-shirts et casquettes, sur Avenida da Marginal entre le Southern Sun, où logeait Danny Glover, et les restaurants Miramar et Sagres.
Lorsque nous arrivons un peu après midi, rien n’a encore été tourné ! La régie, Chissano, David, Arsénio sont là à tenter de faire démarrer le quad qui doit servir aux prises de vue sur la plage, problème de batteries nous dit-on. En conséquence, le son a largement le temps de se préparer et nous allons traîner dans le coin de la table régie.
Tout à coup, branle-bas de combat, Dino m’appelle au talky alors que j’ai la bouche pleine de cet excellent pain mozambicain, nous sommes appelés en urgence sur le plateau, Angela ayant laissé tomber l’idée du quad.
Rapides préparatifs, nous avions anticipé la veille sur les moyens à mettre en œuvre aujourd’hui, nous voilà à courir dans le sable pour rejoindre l’équipe. Bien évidement c’est à ce moment-là que le quad décide de démarrer, enfin ! Nous nous sommes précipités pour rien, on n’a donc plus besoin de nous et nous assistons de loin au tournage de ces plans de la fin du film où Mon de Ferro court sur la plage et que la caméra suit donc sur cet engin tout terrain.
Quand ces prises de vue non sonores mais bruyantes sont terminées, nous avons tout juste le temps d’un son seul des pas de Hedviges sur le sable sec, le sable mouillé et dans l’eau peu profonde, puis sur son souffle, avant que la marée ne se décide à envahir à nouveau son territoire.
Nous nous réfugions sur le sable sec pour un plan de regard de Aymar, Bia et Fatima, puis un dernier plan de Mon de Ferro ressortant de l’eau purifié de ses démons.
N’était-ce Angela, voilà une ambiance de vaguelettes sur le rivage de la mangrove qui aurait pu être acceptable.
La République des enfants – 73A / 3A t1 – stéréo MS décodé L&R
Il faut se dépêcher car l’heure du match arrive et l’équipe en est déjà fébrile, enfin nous on s’en moque un peu.
Dans la maison où est installée la cantine comme au premier jour de tournage sur la plage, la production a aménagé une salle de projection avec grand écran, sièges et boissons.
Nous sommes quelques indifférents à préférer aller manger et contempler le coucher du soleil puis le lever de lune sur l’Océan Indien en espérant que les Brésiliens battent au plus vite ces Portugais afin que nous reprenions rapidement le travail et qu’on en finisse.
Mais aucun des deux pays n’ayant d’enjeu dans cette poule, ce fut un non-match joué à l’économie par deux équipes médiocres dans un esprit totalement anti-sportif.
Alors qu’il fait pleine nuit depuis un bon moment, nous rejoignons en face de la cantine le petit port pour un plan d’Aymar apercevant au loin son père sur un frêle esquif de pêcheur.
Il fait si froid et si humide que je sors veste polaire et veste anti-pluie, capuche sur la tête. C’est la Bretage une nuit d’automne. Nous n’avons pris que le Cantar et une perche car nous n’avons à enregistrer qu’un « Dady » de Aymar, que nous prévoyons de faire en son seul. Et nous attendons.
Nous attendons que la lumière se mette en place, nous attendons de voir ce que va nous inventer le chef-opérateur pour éclairer l’immensité de l’océan la nuit. Le pauvre Ernest tire péniblement ses cinq lignes dans le sable à la lueur d’une torche, Camal et Joãozinho peinent à transporter le 18 kW et son ballast jusqu’au plateau, tandis que Paulo essaye tant bien que mal avec la déco d’installer une lampe sur la barque à une cinquantaine de mètres dans l’eau.
Pendant ce temps Bob, notre ami Bob, m’entreprend à tâter le terrain pour savoir si la France est prête à l’accueillir, combien vaut une maison, quels sont les emplois disponibles, combien gagne un ouvrier. J’ai peine et honte de lui avouer que la France ne veut pas d’étrangers, que mon pays n’est plus une terre d’asile et encore moins d’accueil, aussi j’esquive assez vite la conversation.
Nous attendons ainsi une bonne demi-heure à se peler et Paulo est toujours sur la barque. C’est un spectacle d’ombres chinoises qui s’y joue, jusqu’à ce qu’on nous annonce que nous pouvons rentrer à l’hôtel, le plan ne se fera pas, faute de batteries non chargées qui devaient servir à l’éclairage de la barque.
Franchement, entre les batteries du quad ce midi et les batteries pour la lumière du bateau ce soir, ça fait beaucoup d’imprévoyances. Terrible et lamentable inconséquence ! Il y avait sans doute mieux à faire que regarder vingt-deux types courir après un ballon pour des liasses de dollars. Nous aurons fait aujourd’hui dix prises sonores, un nouveau record de productivité.
Sans ce plan, c’est toute l’histoire de Aymar qui s’écroule, sa pérégrination dans la ville n’a pas d’intérêt s’il n’a pas finalement cette vision de son père, la fresque du restaurant n’évoque plus rien, le dialogue d’Aymar et Dubem sur les fantômes qui hantent les âmes n’a plus de référence.
Flora est catastrophé, on le serait à moins. On frise le ridicule proche du corolaire de Peter. Car il y avait certainement moyen de tourner et éclairer ce plan autrement mais non, quand l’image a l’idée d’une beauté en tête, celle-ci sera convulsive ou ne sera pas, comme postulait Breton. Nous pataugeons en effet dans le surréalisme le plus absurde.
Le Cantar et la perche sont assez vite dans le coffre et nous rentrons à l’hôtel plus tôt que prévu.
Nous passons, comme je l’ai fait ce matin, par la petite ruelle qui mène directement au parking. Les autres véhicules sont allés directement se garer sur le décor de demain. La place de l’Indépendance est noire de monde, l’armée a laissé la place au peuple révolutionnaire, la modernité a balayé le folklore, la musique à fond de sono martèle ses rythmes techno.
Personnellement, en me remémorant le vague à l’âme et la plénitude de ces paysages de mer, je préfère ceci pour m’endormir…
Indochine – J’ai demandé à la Lune
La nuit qui nous attend sera longue, très longue et sonore, j’installe d’office mon matelas dans la salle de bain.